samedi 15 octobre 2016

Monsanto accusé de « crimes contre l’humanité et écocide » par un tribunal international citoyen

La firme américaine est accusée par des associations d’avoir commercialisé des produits toxiques responsables de la mort de milliers de personnes.

Les charges retenues contre la multinationale Monsanto sont lourdes et lui valent d’être poursuivie devant un tribunal international qui se réunit à La Haye (Pays-Bas) les samedi 15 et dimanche 16 octobre. Accusée de « violations des droits humains, crimes contre l’humanité et écocide », la firme américaine se voit notamment reprocher la commercialisation de produits toxiques qui ont causé la mort de milliers de personnes, comme les polychlorobiphényles (PCB), le glyphosate – herbicide connu sous la marque Roundup – ou encore l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique (ou 2,4,5-T), constituant de l’« agent orange », herbicide pulvérisé par avion au-dessus des forêts par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam.

La société, née aux Etats-Unis en 1901 – son créateur John F. Queeny l’avait baptisée ainsi en hommage à son épouse Olga Monsanto – se voit aussi traînée sur le banc des accusés pour un modèle d’agriculture industrielle générateur de fortes émissions de gaz à effet de serre, pour la dépendance du monde paysan à ses semences et leurs brevets, pour le « lobbying auprès des agences de réglementation et des autorités gouvernementales »… en bref, pour l’ensemble de son œuvre.

Le procès est symbolique : il est organisé par un réseau associatif et militant, mais ce sont bien cinq juges de renommée internationale qui vont avoir la charge d’évaluer les faits reprochés à Monsanto et de juger des dégâts causés par la multinationale. La Sénégalaise Dior Fall Sow est consultante pour la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, et ex-avocate générale du Tribunal pénal international pour le Rwanda. L’Australienne Gwynn MacCarrick a travaillé, elle, auprès du bureau du procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Quant au Mexicain Jorge Abraham Fernandez Souza, il a notamment été rapporteur au tribunal Russell sur la répression en Amérique latine et est conseiller auprès de la commission nationale d’arbitrage entre l’Armée zapatiste de libération nationale et le gouvernement mexicain.

Lire aussi : La discrète influence de Monsanto
« Une mascarade » pour Monsanto

Vingt plaignants venus des Amériques, d’Afrique, d’Asie et d’Europe, leurs avocats et trente témoins et experts des cinq continents complètent le dispositif de ce rendez-vous qui a été annoncé durant la conférence de Paris sur le climat, la COP21, début décembre 2015. Dans le comité d’organisation de ce Tribunal Monsanto, se retrouvent l’Indienne Vandana Shiva, ardente défenseure des causes environnementales et féministes, l’avocate française Corinne Lepage, Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, la juriste en droit international Valérie Cabanes ou encore Ronnie Cummins, directeur international de la puissante organisation de consommateurs aux Etats-Unis, l’Organic Consumers Association (OCA).

Lire l’entretien avec la juriste Valérie Cabanes : Procès de Monsanto : « Porter atteinte à l’écosystème Terre, c’est menacer la paix, l’humanité »

Ce procès se veut « exemplaire contre les entreprises transnationales et leurs dirigeants qui contribuent au dérèglement du climat et de la biosphère, menaçant la sûreté de la planète », et il dépasse le seul cas de Monsanto. La multinationale a d’ailleurs sans surprise décliné l’invitation à participer à cette mise au pilori. Pour Monsanto, ce procès est « une parodie » qui « détourne l’attention de discussions essentielles sur les besoins en alimentation et en agriculture du monde entier ». Il n’était donc pas question d’y participer.

Pour Monsanto cette « mascarade » est orchestrée par la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, « une instance qui chapeaute les organisations d’agriculture bio et leurs associés (…) et bien d’autres qui s’opposent fondamentalement à l’agriculture moderne ».

De leur côté, les organisateurs du Tribunal Monsanto font valoir que l’ensemble de l’initiative représente un coût total d’environ 500 000 euros, financés par une levée de fond sur Internet et, pour moitié, par des sociétés comme Biocoop, des fondations comme celles de Léa Nature, Lehmann Natur (enseigne bio allemande) ou encore l’organisation OCA.
Faire évoluer le cadre du droit international

Mais le rendez-vous de La Haye ne se résume pas à une confrontation, médiatisée, entre des organisations écologiques et une multinationale spécialisée dans les biotechnologies agricoles, dont le jugement ne sera pas communiqué avant décembre. Outre la condamnation d’un système agro-industriel, l’enjeu est de faire évoluer le cadre du droit international, en y intégrant le crime d’écocide, c’est-à-dire toute attaque contre l’environnement, destruction ou altération durable des écosystèmes dont dépendent les populations.

En organisant le procès Monsanto, ainsi que l’Assemblée des peuples qui se tiendra en parallèle – six cents personnes se sont inscrites pour ces deux événements –, à quelques centaines de mètres du siège de la Cour pénale internationale (CPI), le message est clair. « Il faut amender le statut de Rome [celui de la CPI] pour y intégrer le crime d’écocide, aux côtés de ceux de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité », professe ainsi Valérie Cabanes. Et de rappeler qu’il a fallu plus d’une cinquantaine d’années – après le tribunal de Nuremberg, en 1945 – pour qu’une institution juridique internationale vouée à juger les crimes internationaux les plus graves, la CPI, ne voie le jour en juillet 1998.

Le débat avance : le 15 septembre, la CPI a annoncé qu’elle allait se pencher sur les crimes contre l’environnement (destruction environnementale, exploitation illégale des ressources naturelles et dépossessions foncières illicites).

Pour les plaignants et les organisateurs de ce tribunal, l’enjeu est, au-delà du cas Monsanto, de faire en sorte que les dirigeants d’entreprises et les responsables politiques puissent être jugés et condamnés pour des destructions de terres, des pollutions d’océan ou encore de sources d’eau potable.

Lire aussi : Pourquoi Bayer rachète Monsanto Rémi Barroux
Journaliste au Monde
Source : Le Monde

Climat : accord historique pour éliminer les HFC, gaz à effet de serre 14 000 fois plus puissant que le CO2

197 Etats ont promis de mettre fin d’ici à 2050 aux hydrofluorocarbures, principalement utilisés comme réfrigérants, dans les climatiseurs et les réfrigérateurs.
C’est une nouvelle victoire dans la lutte contre le changement climatique. Les 197 Etats signataires du protocole de Montréal, réunis à Kigali (Rwanda) pour le 28e sommet des parties au protocole, ont négocié, dans la nuit du 15 octobre, les derniers détails d’un accord sur le climat, qui aura mis sept ans à aboutir.

Les discussions ne se sont pas déroulées sous les feux des projecteurs, contrairement à l’accord de Paris de décembre 2015. Mais ses résultats pourraient avoir un impact aussi, voire plus, significatif sur le ralentissement du changement climatique. L’amendement de Kigali – nom officiel de l’accord – signe en effet la fin progressive des hydrofluorocarbures (HFC), gaz dont l’effet de serre est 14 000 fois plus puissant que le CO2. Ces gaz sont principalement utilisés comme réfrigérants, dans les climatiseurs et les réfrigérateurs.

Les réunions ministérielles, qui ont débuté jeudi, se sont déroulées sous haute tension car, selon Clare Perry, une responsable de l’ONG Environmental Investigation Agency, « aucun pays ne veut être responsable de l’échec de la plus grande avancée de l’année 2016 en matière de climat. »

En effet, cet amendement vient se greffer au protocole de Montréal, un des traités environnementaux les plus efficaces jamais négociés. Adopté en 1987 par la communauté internationale, ce traité a abouti, entre autres, à la suppression définitive des chlorofluorocarbures (CFC), principaux responsables de la destruction de la couche d’ozone. Les CFC font également partie des gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique. Grâce aux efforts consentis depuis cette date, le trou dans la couche d’ozone a diminué d’une superficie équivalente à celle de l’Inde.

Lire aussi : Vers une suppression des hydrofluorocarbones, puissants gaz à effet de serre
Hausse annuelle de 10 % à 15 %

Seul point noir : ce traité a également engendré une explosion de l’utilisation des hydrofluorocarbures. Introduits après le protocole de Montréal comme produits de substitution aux CFC, employés principalement comme gaz réfrigérants et agents propulseurs dans les aérosols. Selon une étude de l’université de Berkeley, leurs émissions progressent aujourd’hui à un rythme annuel de 10 à 15 %.

L’élimination des HFC est donc désormais un des leviers d’atténuation du changement climatique les plus rapides, disponible à moyen terme. Les premières estimations montrent que l’accord trouvé dans la nuit du 15 octobre permettra d’atteindre environ 72 milliards de tonnes équivalent CO2 d’émission évitées d’ici à 2050 – ce qui représente l’équivalent des émissions annuelles de l’Allemagne.

A plus long terme, la réduction cumulée des émissions mondiales pourrait éviter jusqu’à 0,5 °C de réchauffement à l’échelle mondiale d’ici à 2100, et ainsi permettre de réaliser un quart de l’objectif de 2 °C fixé par l’accord de Paris sur le climat, selon une étude publiée l’an dernier par l’Institut pour la gouvernance et le développement durable (IGSD), un think tank basé à Washington.

« Un amendement ambitieux sur les HFC est probablement l’action la plus importante que nous puissions réaliser à ce stade pour limiter le réchauffement de notre planète et la protéger pour les générations futures, a annoncé le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, dans son discours à l’attention des parties. Aucun pays n’a le droit de tourner le dos à cet effort. »

Et tous ont joué le jeu en fonction de leurs capacités. Le texte de l’accord conclu à Kigali divise les pays en trois groupes en fonction de la date à laquelle ils devront réduire l’usage de ces gaz industriels. Tous ensemble, les pays devront réduire les niveaux de HFC de 85 % d’ici à 2047. Les pays développés, comprenant les Etats-Unis et la plupart des pays d’Europe, ouvriront le chemin : ils s’engagent à diminuer l’usage des HFC de 10 % d’ici à 2019 pour les supprimer progressivement d’ici à 2050. Le groupe ambitieux de pays en voie de développement, qui inclut la Chine, a décidé de geler leur production d’ici à 2024. Enfin, alors que le pays était pressenti comme un des freins à l’amendement, l’Inde a consenti, avec un petit groupe de pays moins ambitieux, à geler sa production de HFC d’ici à 2028. L’accord trouvé pour ce dernier groupe a permis de tenir compte des inquiétudes des pays situés dans les régions les plus chaudes de la planète – principalement les pays du Golfe – qui dépendent énormément des systèmes de climatisation.

Lire aussi : Climat : l’entrée en vigueur de l’accord de Paris pourrait intervenir avant fin 2016
« Victoire pour le climat »

Afin d’accompagner la transition de ces régions, seize pays – dont les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne et la France – et plusieurs organismes et donateurs privés ont promis de verser une aide de 80 millions de dollars (71,5 millions d’euros). A titre d’exemple, la suppression des HFC d’ici 2050 coûterait à l’Inde environ 34 milliards de dollars (30 milliards d’euros), selon une étude du Conseil en énergie, environnement et eau.

Pour Didier Hauglustaine, directeur de recherche au CNRS, la transition ne devrait pas être difficile. « Les industriels ont montré qu’ils étaient capables de le faire pour les CFC. Il n’y a pas de raison pour que ce soit différent pour les HFC, explique-t-il. Le protocole de Montréal a été bénéfique pour l’ozone dans l’élimination des substances nocives, il devrait l’être aussi pour le climat. » Pour le chercheur, l’amendement adopté est « le lien entre le protocole de Montréal et l’accord de Paris, entre la protection de l’ozone et celle du climat. » Et, à la différence de l’accord de Paris, le protocole de Montréal est un traité coercitif qui engage tous les pays dans des mesures d’atténuation obligatoires, et qui est soutenu par des sanctions. Une bonne nouvelle, donc, pour l’application du traité.

« C’est une grande victoire pour le climat, confirme Miguel Arias Cañete, commissaire européen au climat et à l’énergie. Nous avons pris des mesures concrètes pour honorer nos engagements faits à Paris au mois de décembre 2015. » Lors de l’accord de Paris, qui devrait entrer en vigueur en novembre lors de la COP22 de Marrakech, la communauté internationale s’était en effet engagée à contenir la hausse des températures « bien en deçà des 2° C » et « poursuivre les efforts » pour la limiter à 1,5 °C. Jusqu’à présent les engagements volontaires des Etats mettent le climat terrestre sur la trajectoire d’un réchauffement d’environ 3 °C.

Clémentine Thiberge
Journaliste au Monde
Source : Le Monde

vendredi 24 juin 2016

Le changement climatique influence les migrations rurales

Invité aux 7e Rencontres internationales de Cybèle organisées à Marseille par l'association Euromed-IHEDN, Sébastien Abis, administrateur principal au CIHEAM (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes), dresse un constat alarmiste sur la dépendance de l'agroalimentaire aux changements climatiques en Méditerranée.

La sécheresse actuelle affaiblit le Maroc, quels sont ses véritables impacts sur l’économie et l’agriculture ?
Le Maroc a toujours eu historiquement une très grande dépendance au climat et à ses variations. La pluviométrie défavorable entraîne une détérioration de la production agricole qui impacte la croissance économique en général.
La sécheresse de ces derniers mois reste historique. Le pays n’en a pas connu de comparable depuis cinquante ans. Prenons par exemple le secteur des céréales, une production majeure aujourd’hui au Maroc, en terme de surface, mais aussi pour la consommation des populations. En 2015, le Maroc a produit 115 millions de quintaux de céréales, un record. Cette année, la récolte devrait être divisée par trois en raison du manque de pluie. La conséquence de cette réduction, c’est une économie agricole détériorée et la vie en milieu rurale déstabilisée. Cela veut aussi dire moins d’emplois au niveau de la main d’oeuvre annuelle mais aussi saisonnière, dans les zones rurales. Car le rural et l’agricole restent très liés.

Qu’ont fait les autorités face à cette sécheresse ?

Les autorités marocaines ont réussi à colmater le risque multi-sectoriel que pouvait provoquer cette sécheresse, grâce à la mobilisation de fonds financiers. Un grand fond de développement rural a été mis en place. Il existe aussi au Maroc un plan vert, car depuis quelques années, le Maroc met l’accent sur sa sécurité alimentaire. La mobilisation de différentes techniques doit servir à assurer les récoltes des producteurs, mais aussi à mobiliser de l’eau différemment, à gérer de nouvelles infrastructures, pour faire face à l’urgence de cette situation. Tout cet arsenal permet au pays de réussir à limiter les dégâts face à cette sécheresse considérable.

Si cet épisode se répète en 2017, le Maroc aura-t-il la même capacité de financement d’urgence ?
Beaucoup de monde se pose cette question. Car cela ne concerne pas que le Maroc, mais tous les pays de cette région. Devons-nous prévoir des fonds d’urgence pour chaque catastrophe climatique alors qu’elles vont s’accentuer ? C’est une question législative, mais aussi de territoire. Pour des pays comme le Maroc, ce qui m’inquiète plus, c’est la double peine à laquelle ils doivent faire face. Un accident climatique chez eux réduit les productions alimentaires. Mais un second accident climatique dans les pays producteurs/exportateurs dont ils dépendent en partie pour se nourrir, produira une forte augmentation des prix. Cette double peine induit des incidences en terme de politique, d’économie et de social. Ces pays sont à la fois dépendants du climats et dépendants des marchés.

Vous évoquez souvent le lien entre développement agricole et développement rural. Comment peut-il évoluer dans le futur ?
Les changements climatiques impactent tous les secteurs, tous les territoires, mais de façons différentes dans une ville ou dans un territoire rural où l’activité hyper dominante reste l’agriculture. Donc si nous faisons face à un problème climatique, nous devons nous attendre à une vulnérabilité très forte en milieu rural. Ces territoires, déjà pas forcément les préférés de la classe politique et des investisseurs internationaux, vont être fortement secoués en cas d’accident climatique.
Prenons l’exemple de la Syrie, un pays agricole. Elle a connu une suite de terribles sécheresses entre 2006 et 2010 qui ont provoqué le déplacement de plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs. Ils ont dû quitter leurs territoires ruraux, et aller vers les villes pour essayer de trouver un emploi. Pourtant, le gouvernement avait mis en place une politique rurale très forte.
Ce phénomène a duré quelques années. Ce qui a conduit à un gonflement de la taille démographique de plusieurs villes. Mais cette migration n’était pas vertueuse car la population ne trouvait pas d’emplois. La révolte syrienne et la guerre ne peuvent pas s’expliquer uniquement par la variable climatique, par l’insécurité rurale ou l’insécurité alimentaire. En revanche, le faisceau de facteurs dans la révolte syrienne ne peut pas se lire sans le facteur climatique, sans intégrer le fait que cette vulnérabilité rurale, cette insécurité climatique, hydrique, alimentaire forment une boule de neige déstabilisante pour les équilibres socio-politique d’un pays.

Les pays méditerranéens sont-ils sur un même pied d’égalité face aux changements climatiques ?
La problématique ne concerne pas que le sud de la Méditerranée. L’Espagne est un pays très touché par le stress hydrique, par la désertification de ses territoires. Même chose pour la Turquie, une partie du sud de l’Italie et pour la Grèce.
Au niveau méditerranéen, les pays membres de l’Union européenne sont peut-être plus préparés que ceux du sud de la Méditerranée car, il existe des politiques communautaires, mais aussi des moyens financiers plus importants.
Néanmoins, au nord comme au sud, nous nous demandons si nous avons réussi à alerter les décideurs sur les conséquences du changement climatique, alors que ce dernier s’accélère. L’adaptation des modèles économiques et des pratiques va prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies. Nous assistons à une hyper-exposition des phénomènes extrêmes, avec un impact humain de plus en plus visible.
L’Espagne et la France vont sûrement devoir prendre exemple sur le Maroc, sur la manière dont il gère une sécheresse considérable. Car, ils risquent de connaître la situation de leur voisin du sud dans dix à vingt ans. Cela s’est déjà vu avec les épisodes caniculaires qu’a connu la France ces dernières années, et sur l’impact agricole que cela a provoqué. Il faudrait mettre en place des partages de connaissances, de pratiques qui ne seront pas nord-sud mais sud-nord. Et là, nous constaterons une inversion du débat dans la coopération méditerranéenne.

Interview de Sébastien Abis - Econostrum.info
Propos recueillis par Ludivine Tur pour Economostrum.info

Source : iris-france.org

jeudi 23 juin 2016

La justice américaine invalide la réglementation de la fracturation hydraulique édictée par Obama

En 2015, l’administration fédérale avait notamment imposé aux pétroliers de protéger les nappes phréatiques et de publier la liste des produits chimiques utilisés pour l’extraction.
Le proverbe dit que charbonnier est maître chez soi. Mais l’expression populaire ne s’applique visiblement pas à l’Etat américain. Un juge fédéral du Wyoming a en effet invalidé, mercredi 22 juin, la série de mesures édictées il y a un peu plus d’un an par l’administration Obama pour réguler la fracturation hydraulique sur les terrains publics. Cette technique de forage notamment utilisée dans l’extraction du gaz et du pétrole de schiste, fait l’objet de vives critiques de la part des organisations de protection de l’environnement.

Le juge considère que « le Congrès n’a pas délégué au département de l’intérieur [l’administration qui gère les ressources naturelles] l’autorité pour réguler la fracturation hydraulique », ajoutant que l’initiative du Bureau of Land Management (BLM), l’agence en chargée des terrains appartenant à l’Etat, s’apparente à « un abus d’autorité » et est « contraire à la loi ».

La fracturation hydraulique, qui consiste à fissurer la roche en injectant à très forte pression de l’eau, du sable et des produits chimiques pour y récupérer le pétrole et le gaz difficiles à extraire, suscite de plus en plus d’opposition aux Etats-Unis. « Il y a beaucoup de crainte et d’inquiétude de la part du public, particulièrement à propos de la sécurité de l’eau souterraine et de l’impact de ces opérations », avait affirmé Sally Jewell, la secrétaire à l’intérieur, en mars 2015, lorsque les mesures avaient été annoncées. Le BLM avait reçu auparavant plus de un million et demi de contributions de la part de particuliers et d’associations favorables à ces nouvelles règles.

Protection des secrets industriels


Celles-ci consistent à obliger les groupes pétroliers et gaziers à renforcer l’étanchéité de leurs puits et à tester systématiquement la qualité des parois en ciment censées empêcher la contamination des nappes phréatiques. Il est également demandé aux sociétés de fournir davantage d’informations concernant le stockage des fluides toxiques utilisés. Il est aussi question de sécuriser les eaux usées dans des réservoirs couverts, au lieu de les évacuer, comme c’est parfois le cas, dans des fosses creusées à même le sol. Enfin, les compagnies pétrolières étaient censées publier dans un délai de 30 jours quels produits chimiques elles injectent dans le sol pour permettre l’extraction.

Une question sensible pour les compagnies pétrolières, qui sont très jalouses de leurs secrets industriels. Ainsi, en 2015, en Caroline du Nord, Halliburton a fait un intense lobbying pour faire passer une loi, qui condamne toute personne qui divulguerait la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique.

La remise en cause de ces mesures a été accueillie favorablement par le lobby pétrolier, qui avait porté plainte, bien que leur coût pour les compagnies reste relativement modeste. Le gouvernement l’avait évalué à 32 millions de dollars (29,5 millions d’euros) par an, soit à peine 1 % du coût d’exploitation moyen d’un puits. « La décision démontre que les Etats sont – et l’ont été pendant plus de 60 ans – les mieux placés pour réguler de façon sécurisée la fracturation hydraulique », estime Neal Kirby, un responsable de l’Independent Petroleum Association of America.

Nouveau revers pour Obama


De son côté, Cynthia Lummis, la représentante républicaine du Wyoming, qui avait également porté plainte aux côtés de l’Utah et du Colorado, estime que c’est une victoire pour les droits des Etats fédérés : « Ces mesures sapaient la régulation prudente et efficace que les Etats ont mis en place à propos de la fracturation hydraulique, comme c’est le cas au Wyoming. » Les mesures étaient censées concerner 11 % du gaz et 5 % du pétrole consommés aux Etats-Unis. L’immense majorité de l’extraction est effectuée en effet sur des espaces privés ou appartenant aux Etats fédérés, qui restent libres d’appliquer leurs propres règles.

Si le gouvernement peut encore faire appel de cette décision, il s’agit d’un nouveau revers pour Barack Obama, qui a tenté de prendre plusieurs initiatives en faveur de l’environnement, mais qui ont été remises en cause par les tribunaux. C’est notamment le cas d’une décision de l’Environmental Protection Agency qui veut mettre sous la protection fédérale plus de plans d’eau et de zones humides. Une initiative bloquée par une cour d’appel fédérale en octobre 2015. Par ailleurs, en février 2016, la Cour suprême a mis son veto temporaire à la limitation des émissions de CO2générées par les centrales thermiques.

Par Stéphane Lauer (New York, correspondant)
Le 22 juin 2016 à 19h50
Source : Le Monde

mardi 21 juin 2016

Dans 50 ans, un été froid pourrait être plus chaud qu’aujourd’hui

Entre 2061 et 2080,  la majeure partie du globe connaîtra régulièrement des étés plus chauds que tous ceux observés jusqu’à présent, selon une étude réalisée par des scientifiques du Centre national pour la recherche atmosphérique (NCAR, Etats-Unis). La réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait cependant diminuer ce risque.

On sait déjà que le risque de voir des records de chaleur locaux est désormais cinq fois plus important qu’avant la perturbation climatique liée aux gaz à effet de serre. Cela signifie qu’il y a environ 80% de chance pour que les records actuels soient dus au changement climatique (Dim Coumou, 2013). Certaines régions du globe, comme l’Afrique, l’Europe ou l’Asie du Sud, ont déjà vu les records estivaux augmenter d’un facteur 10.

Dans un article publié dans le Journal of Geophysical Research : Atmospheres, des scientifiques européens avaient également dévoilé en octobre 2014 un palmarès des différentes vagues de chaleur recensées dans le monde depuis 33 ans. D’après leur analyse, le nombre de canicules sévères enregistrées sur la planète entre 2002 et 2012 a été trois fois supérieur à celui relevé  lors des périodes 1980-1990 et 1991-2001.

Que nous réserve l’avenir ? D’après une nouvelle étude de Flavio Lehner, Clara Deser et Benjamin M. Sanderson (NCAR), ces nouveaux extrêmes deviendront la norme dans une cinquantaine d’années. Si le changement climatique poursuit sa trajectoire actuelle. Cet article publié dans la revue « Climatic Change » s’intéresse aux étés pris dans leur ensemble et non aux brefs épisodes de canicule.

Conclusion principale : chaque été qui aura lieu entre 2061 et 2080 aura 80% de chances d’être plus chaud globalement que le plus chaud des archives actuelles. L’étude concerne les températures à la surface des terres du globe et ne tient pas compte de l’Antarctique. Ce résultat se base sur le scénario RCP 8.5. Si l’on se réfère au dernier rapport du GIEC, on peut estimer que le RCP 8.5 prévoit un réchauffement global d’environ 3°C pour la période 2060-2080 (par rapport à 1850-1900).

En cas de réduction des émissions de gaz à effet de serre, cette probabilité pourrait cependant tomber à 41%,  selon l’étude. Les auteurs ont utilisé dans cette hypothèse le scénario RCP 4.5, qui amènerait à environ +2/2,5°C en 2060-2080.

L’équipe de recherche a utilisé deux ensembles de modélisations pour déterminer à quoi ces étés du futur pourraient ressembler. Ces simulations ont été réalisées grâce au Community Earth System Model du NCAR (Etats-Unis) pour tester deux hypothèses : l’une prévoyant la poursuite sans relâche des émissions de gaz à effet de serre, l’autre tablant sur une réduction des émissions. A noter que le RCP 8.5 prévoit 1000 ppm de CO2 en 2100 contre 400 aujourd’hui ; le RCP 4.5 prévoit un peu plus de 600 ppm.
Probabilité de voir un été de 2061-2080 plus chaud que le plus chaud de la période 1920-2014. Source : Flavio Lehner, Clara Deser, Benjamin M. Sanderson.

Probabilité de voir un été de 2061-2080 plus chaud que le plus chaud de la période 1920-2014. Source : Flavio Lehner, Clara Deser, Benjamin M. Sanderson.

En exécutant le même modèle à plusieurs reprises, avec seulement de petites différences dans les conditions de départ initiales, les scientifiques ont pu examiner la gamme de températures estivales que nous pourrions atteindre à l’avenir en fonction des scénarios d’émissions.

Les chercheurs ont comparé leurs prévisions aux températures réelles enregistrées entre 1920 et 2014, ainsi qu’aux 15 simulations estivales réalisées sur la même période historique. En simulant des étés passés – au lieu de compter uniquement sur des observations – les scientifiques ont établi une large gamme de températures qui auraient pu se produire naturellement dans les mêmes conditions.

Les auteurs de l’étude n’ont donc pas seulement comparé l’avenir aux 95 étés du passé, grâce aux modèles, ils ont eu la possibilité de créer plus de 1425 étés passés (95 ans x 15 simulations). De quoi se se faire une idée plus précise de ce que peut être la variabilité naturelle.

Entre 2061 et 2080, les étés dans de vastes régions de l’Amérique du Nord et du Sud, l’Europe centrale, l’Asie et l’Afrique auront 90% de chances d’être plus chauds que tous les étés passés si les émissions se poursuivent sans relâche. Cela signifie que pratiquement chaque été serait aussi chaud que le plus chaud  du climat actuel.

Dans d’autres régions, la probabilité de voir des étés plus chauds que tous ceux du passé resterait inférieure à 50%. Dans ces endroits – y compris l’Alaska, le centre des Etats-Unis, la Scandinavie, la Sibérie et l’Australie continentale – les températures estivales varient naturellement de manière importante, ce qui rend plus difficile à détecter l’impact du changement climatique, précisent les auteurs de l’article.

L’un des aspects les plus intéressants de l’étude est la projection présentée pour trois villes ayant des caractéristiques différentes : Le Caire (Egypte), Paris (France) et Canberra (Australie).

Le Caire : en 2061-2080, le réchauffement sera en été de 3,2°C avec le RCP 4.5 et de 5,2C° avec le RCP 8.5. En raison de la faible variabilité interannuelle, les étés seront systématiquement plus chauds que tout autre été même avec le RCP 4.5.

Paris : la capitale française se réchauffera autant que Le Caire mais la plus grande variabilité fera que le RCP 4.5 sera marqué par des été plus chauds que le record dans « seulement » 50% des cas. Il faudra le RCP 8.5 pour que le record actuel soit systématiquement dépassé, chaque été. Dans 50 ans, +5°C serait alors l’anomalie moyenne à Paris par rapport à la période 1920-2014. Une anomalie supérieure à celle de l’été 2003 (on parle bien des trois mois d’été et non de la période de canicule). Les étés les plus chauds pourraient flirter avec les +8°C.

Canberra : la ville australienne connaît une grande variabilité, comme Paris, mais les températures devraient moins s’élever.

Autre conclusion à relever : la réduction des émissions diminuerait la probabilité globale de voir les températures estivales excéder les valeurs record actuelles, mais les avantages ne seraient pas répartis uniformément. Dans certaines régions, y compris la côte Est des Etats-Unis et une grande partie des tropiques, la probabilité resterait quand même au-dessus de 90%, même avec le scénario RCP 4.5.

Mais cela serait une aubaine considérable pour d’autres régions du monde, d’après les scientifiques. Le Brésil, l’Europe centrale, et l’est la Chine verraient une réduction du risque de plus de 50%. Étant donné que ces zones sont densément habitées, une grande partie de la population mondiale bénéficierait considérablement des mesures d’atténuation.

Par Johan Lorck le 18 juin 2016.
Source : Global-Climat