vendredi 24 juin 2016

Le changement climatique influence les migrations rurales

Invité aux 7e Rencontres internationales de Cybèle organisées à Marseille par l'association Euromed-IHEDN, Sébastien Abis, administrateur principal au CIHEAM (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes), dresse un constat alarmiste sur la dépendance de l'agroalimentaire aux changements climatiques en Méditerranée.

La sécheresse actuelle affaiblit le Maroc, quels sont ses véritables impacts sur l’économie et l’agriculture ?
Le Maroc a toujours eu historiquement une très grande dépendance au climat et à ses variations. La pluviométrie défavorable entraîne une détérioration de la production agricole qui impacte la croissance économique en général.
La sécheresse de ces derniers mois reste historique. Le pays n’en a pas connu de comparable depuis cinquante ans. Prenons par exemple le secteur des céréales, une production majeure aujourd’hui au Maroc, en terme de surface, mais aussi pour la consommation des populations. En 2015, le Maroc a produit 115 millions de quintaux de céréales, un record. Cette année, la récolte devrait être divisée par trois en raison du manque de pluie. La conséquence de cette réduction, c’est une économie agricole détériorée et la vie en milieu rurale déstabilisée. Cela veut aussi dire moins d’emplois au niveau de la main d’oeuvre annuelle mais aussi saisonnière, dans les zones rurales. Car le rural et l’agricole restent très liés.

Qu’ont fait les autorités face à cette sécheresse ?

Les autorités marocaines ont réussi à colmater le risque multi-sectoriel que pouvait provoquer cette sécheresse, grâce à la mobilisation de fonds financiers. Un grand fond de développement rural a été mis en place. Il existe aussi au Maroc un plan vert, car depuis quelques années, le Maroc met l’accent sur sa sécurité alimentaire. La mobilisation de différentes techniques doit servir à assurer les récoltes des producteurs, mais aussi à mobiliser de l’eau différemment, à gérer de nouvelles infrastructures, pour faire face à l’urgence de cette situation. Tout cet arsenal permet au pays de réussir à limiter les dégâts face à cette sécheresse considérable.

Si cet épisode se répète en 2017, le Maroc aura-t-il la même capacité de financement d’urgence ?
Beaucoup de monde se pose cette question. Car cela ne concerne pas que le Maroc, mais tous les pays de cette région. Devons-nous prévoir des fonds d’urgence pour chaque catastrophe climatique alors qu’elles vont s’accentuer ? C’est une question législative, mais aussi de territoire. Pour des pays comme le Maroc, ce qui m’inquiète plus, c’est la double peine à laquelle ils doivent faire face. Un accident climatique chez eux réduit les productions alimentaires. Mais un second accident climatique dans les pays producteurs/exportateurs dont ils dépendent en partie pour se nourrir, produira une forte augmentation des prix. Cette double peine induit des incidences en terme de politique, d’économie et de social. Ces pays sont à la fois dépendants du climats et dépendants des marchés.

Vous évoquez souvent le lien entre développement agricole et développement rural. Comment peut-il évoluer dans le futur ?
Les changements climatiques impactent tous les secteurs, tous les territoires, mais de façons différentes dans une ville ou dans un territoire rural où l’activité hyper dominante reste l’agriculture. Donc si nous faisons face à un problème climatique, nous devons nous attendre à une vulnérabilité très forte en milieu rural. Ces territoires, déjà pas forcément les préférés de la classe politique et des investisseurs internationaux, vont être fortement secoués en cas d’accident climatique.
Prenons l’exemple de la Syrie, un pays agricole. Elle a connu une suite de terribles sécheresses entre 2006 et 2010 qui ont provoqué le déplacement de plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs. Ils ont dû quitter leurs territoires ruraux, et aller vers les villes pour essayer de trouver un emploi. Pourtant, le gouvernement avait mis en place une politique rurale très forte.
Ce phénomène a duré quelques années. Ce qui a conduit à un gonflement de la taille démographique de plusieurs villes. Mais cette migration n’était pas vertueuse car la population ne trouvait pas d’emplois. La révolte syrienne et la guerre ne peuvent pas s’expliquer uniquement par la variable climatique, par l’insécurité rurale ou l’insécurité alimentaire. En revanche, le faisceau de facteurs dans la révolte syrienne ne peut pas se lire sans le facteur climatique, sans intégrer le fait que cette vulnérabilité rurale, cette insécurité climatique, hydrique, alimentaire forment une boule de neige déstabilisante pour les équilibres socio-politique d’un pays.

Les pays méditerranéens sont-ils sur un même pied d’égalité face aux changements climatiques ?
La problématique ne concerne pas que le sud de la Méditerranée. L’Espagne est un pays très touché par le stress hydrique, par la désertification de ses territoires. Même chose pour la Turquie, une partie du sud de l’Italie et pour la Grèce.
Au niveau méditerranéen, les pays membres de l’Union européenne sont peut-être plus préparés que ceux du sud de la Méditerranée car, il existe des politiques communautaires, mais aussi des moyens financiers plus importants.
Néanmoins, au nord comme au sud, nous nous demandons si nous avons réussi à alerter les décideurs sur les conséquences du changement climatique, alors que ce dernier s’accélère. L’adaptation des modèles économiques et des pratiques va prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies. Nous assistons à une hyper-exposition des phénomènes extrêmes, avec un impact humain de plus en plus visible.
L’Espagne et la France vont sûrement devoir prendre exemple sur le Maroc, sur la manière dont il gère une sécheresse considérable. Car, ils risquent de connaître la situation de leur voisin du sud dans dix à vingt ans. Cela s’est déjà vu avec les épisodes caniculaires qu’a connu la France ces dernières années, et sur l’impact agricole que cela a provoqué. Il faudrait mettre en place des partages de connaissances, de pratiques qui ne seront pas nord-sud mais sud-nord. Et là, nous constaterons une inversion du débat dans la coopération méditerranéenne.

Interview de Sébastien Abis - Econostrum.info
Propos recueillis par Ludivine Tur pour Economostrum.info

Source : iris-france.org

jeudi 23 juin 2016

La justice américaine invalide la réglementation de la fracturation hydraulique édictée par Obama

En 2015, l’administration fédérale avait notamment imposé aux pétroliers de protéger les nappes phréatiques et de publier la liste des produits chimiques utilisés pour l’extraction.
Le proverbe dit que charbonnier est maître chez soi. Mais l’expression populaire ne s’applique visiblement pas à l’Etat américain. Un juge fédéral du Wyoming a en effet invalidé, mercredi 22 juin, la série de mesures édictées il y a un peu plus d’un an par l’administration Obama pour réguler la fracturation hydraulique sur les terrains publics. Cette technique de forage notamment utilisée dans l’extraction du gaz et du pétrole de schiste, fait l’objet de vives critiques de la part des organisations de protection de l’environnement.

Le juge considère que « le Congrès n’a pas délégué au département de l’intérieur [l’administration qui gère les ressources naturelles] l’autorité pour réguler la fracturation hydraulique », ajoutant que l’initiative du Bureau of Land Management (BLM), l’agence en chargée des terrains appartenant à l’Etat, s’apparente à « un abus d’autorité » et est « contraire à la loi ».

La fracturation hydraulique, qui consiste à fissurer la roche en injectant à très forte pression de l’eau, du sable et des produits chimiques pour y récupérer le pétrole et le gaz difficiles à extraire, suscite de plus en plus d’opposition aux Etats-Unis. « Il y a beaucoup de crainte et d’inquiétude de la part du public, particulièrement à propos de la sécurité de l’eau souterraine et de l’impact de ces opérations », avait affirmé Sally Jewell, la secrétaire à l’intérieur, en mars 2015, lorsque les mesures avaient été annoncées. Le BLM avait reçu auparavant plus de un million et demi de contributions de la part de particuliers et d’associations favorables à ces nouvelles règles.

Protection des secrets industriels


Celles-ci consistent à obliger les groupes pétroliers et gaziers à renforcer l’étanchéité de leurs puits et à tester systématiquement la qualité des parois en ciment censées empêcher la contamination des nappes phréatiques. Il est également demandé aux sociétés de fournir davantage d’informations concernant le stockage des fluides toxiques utilisés. Il est aussi question de sécuriser les eaux usées dans des réservoirs couverts, au lieu de les évacuer, comme c’est parfois le cas, dans des fosses creusées à même le sol. Enfin, les compagnies pétrolières étaient censées publier dans un délai de 30 jours quels produits chimiques elles injectent dans le sol pour permettre l’extraction.

Une question sensible pour les compagnies pétrolières, qui sont très jalouses de leurs secrets industriels. Ainsi, en 2015, en Caroline du Nord, Halliburton a fait un intense lobbying pour faire passer une loi, qui condamne toute personne qui divulguerait la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique.

La remise en cause de ces mesures a été accueillie favorablement par le lobby pétrolier, qui avait porté plainte, bien que leur coût pour les compagnies reste relativement modeste. Le gouvernement l’avait évalué à 32 millions de dollars (29,5 millions d’euros) par an, soit à peine 1 % du coût d’exploitation moyen d’un puits. « La décision démontre que les Etats sont – et l’ont été pendant plus de 60 ans – les mieux placés pour réguler de façon sécurisée la fracturation hydraulique », estime Neal Kirby, un responsable de l’Independent Petroleum Association of America.

Nouveau revers pour Obama


De son côté, Cynthia Lummis, la représentante républicaine du Wyoming, qui avait également porté plainte aux côtés de l’Utah et du Colorado, estime que c’est une victoire pour les droits des Etats fédérés : « Ces mesures sapaient la régulation prudente et efficace que les Etats ont mis en place à propos de la fracturation hydraulique, comme c’est le cas au Wyoming. » Les mesures étaient censées concerner 11 % du gaz et 5 % du pétrole consommés aux Etats-Unis. L’immense majorité de l’extraction est effectuée en effet sur des espaces privés ou appartenant aux Etats fédérés, qui restent libres d’appliquer leurs propres règles.

Si le gouvernement peut encore faire appel de cette décision, il s’agit d’un nouveau revers pour Barack Obama, qui a tenté de prendre plusieurs initiatives en faveur de l’environnement, mais qui ont été remises en cause par les tribunaux. C’est notamment le cas d’une décision de l’Environmental Protection Agency qui veut mettre sous la protection fédérale plus de plans d’eau et de zones humides. Une initiative bloquée par une cour d’appel fédérale en octobre 2015. Par ailleurs, en février 2016, la Cour suprême a mis son veto temporaire à la limitation des émissions de CO2générées par les centrales thermiques.

Par Stéphane Lauer (New York, correspondant)
Le 22 juin 2016 à 19h50
Source : Le Monde

mardi 21 juin 2016

Dans 50 ans, un été froid pourrait être plus chaud qu’aujourd’hui

Entre 2061 et 2080,  la majeure partie du globe connaîtra régulièrement des étés plus chauds que tous ceux observés jusqu’à présent, selon une étude réalisée par des scientifiques du Centre national pour la recherche atmosphérique (NCAR, Etats-Unis). La réduction des émissions de gaz à effet de serre pourrait cependant diminuer ce risque.

On sait déjà que le risque de voir des records de chaleur locaux est désormais cinq fois plus important qu’avant la perturbation climatique liée aux gaz à effet de serre. Cela signifie qu’il y a environ 80% de chance pour que les records actuels soient dus au changement climatique (Dim Coumou, 2013). Certaines régions du globe, comme l’Afrique, l’Europe ou l’Asie du Sud, ont déjà vu les records estivaux augmenter d’un facteur 10.

Dans un article publié dans le Journal of Geophysical Research : Atmospheres, des scientifiques européens avaient également dévoilé en octobre 2014 un palmarès des différentes vagues de chaleur recensées dans le monde depuis 33 ans. D’après leur analyse, le nombre de canicules sévères enregistrées sur la planète entre 2002 et 2012 a été trois fois supérieur à celui relevé  lors des périodes 1980-1990 et 1991-2001.

Que nous réserve l’avenir ? D’après une nouvelle étude de Flavio Lehner, Clara Deser et Benjamin M. Sanderson (NCAR), ces nouveaux extrêmes deviendront la norme dans une cinquantaine d’années. Si le changement climatique poursuit sa trajectoire actuelle. Cet article publié dans la revue « Climatic Change » s’intéresse aux étés pris dans leur ensemble et non aux brefs épisodes de canicule.

Conclusion principale : chaque été qui aura lieu entre 2061 et 2080 aura 80% de chances d’être plus chaud globalement que le plus chaud des archives actuelles. L’étude concerne les températures à la surface des terres du globe et ne tient pas compte de l’Antarctique. Ce résultat se base sur le scénario RCP 8.5. Si l’on se réfère au dernier rapport du GIEC, on peut estimer que le RCP 8.5 prévoit un réchauffement global d’environ 3°C pour la période 2060-2080 (par rapport à 1850-1900).

En cas de réduction des émissions de gaz à effet de serre, cette probabilité pourrait cependant tomber à 41%,  selon l’étude. Les auteurs ont utilisé dans cette hypothèse le scénario RCP 4.5, qui amènerait à environ +2/2,5°C en 2060-2080.

L’équipe de recherche a utilisé deux ensembles de modélisations pour déterminer à quoi ces étés du futur pourraient ressembler. Ces simulations ont été réalisées grâce au Community Earth System Model du NCAR (Etats-Unis) pour tester deux hypothèses : l’une prévoyant la poursuite sans relâche des émissions de gaz à effet de serre, l’autre tablant sur une réduction des émissions. A noter que le RCP 8.5 prévoit 1000 ppm de CO2 en 2100 contre 400 aujourd’hui ; le RCP 4.5 prévoit un peu plus de 600 ppm.
Probabilité de voir un été de 2061-2080 plus chaud que le plus chaud de la période 1920-2014. Source : Flavio Lehner, Clara Deser, Benjamin M. Sanderson.

Probabilité de voir un été de 2061-2080 plus chaud que le plus chaud de la période 1920-2014. Source : Flavio Lehner, Clara Deser, Benjamin M. Sanderson.

En exécutant le même modèle à plusieurs reprises, avec seulement de petites différences dans les conditions de départ initiales, les scientifiques ont pu examiner la gamme de températures estivales que nous pourrions atteindre à l’avenir en fonction des scénarios d’émissions.

Les chercheurs ont comparé leurs prévisions aux températures réelles enregistrées entre 1920 et 2014, ainsi qu’aux 15 simulations estivales réalisées sur la même période historique. En simulant des étés passés – au lieu de compter uniquement sur des observations – les scientifiques ont établi une large gamme de températures qui auraient pu se produire naturellement dans les mêmes conditions.

Les auteurs de l’étude n’ont donc pas seulement comparé l’avenir aux 95 étés du passé, grâce aux modèles, ils ont eu la possibilité de créer plus de 1425 étés passés (95 ans x 15 simulations). De quoi se se faire une idée plus précise de ce que peut être la variabilité naturelle.

Entre 2061 et 2080, les étés dans de vastes régions de l’Amérique du Nord et du Sud, l’Europe centrale, l’Asie et l’Afrique auront 90% de chances d’être plus chauds que tous les étés passés si les émissions se poursuivent sans relâche. Cela signifie que pratiquement chaque été serait aussi chaud que le plus chaud  du climat actuel.

Dans d’autres régions, la probabilité de voir des étés plus chauds que tous ceux du passé resterait inférieure à 50%. Dans ces endroits – y compris l’Alaska, le centre des Etats-Unis, la Scandinavie, la Sibérie et l’Australie continentale – les températures estivales varient naturellement de manière importante, ce qui rend plus difficile à détecter l’impact du changement climatique, précisent les auteurs de l’article.

L’un des aspects les plus intéressants de l’étude est la projection présentée pour trois villes ayant des caractéristiques différentes : Le Caire (Egypte), Paris (France) et Canberra (Australie).

Le Caire : en 2061-2080, le réchauffement sera en été de 3,2°C avec le RCP 4.5 et de 5,2C° avec le RCP 8.5. En raison de la faible variabilité interannuelle, les étés seront systématiquement plus chauds que tout autre été même avec le RCP 4.5.

Paris : la capitale française se réchauffera autant que Le Caire mais la plus grande variabilité fera que le RCP 4.5 sera marqué par des été plus chauds que le record dans « seulement » 50% des cas. Il faudra le RCP 8.5 pour que le record actuel soit systématiquement dépassé, chaque été. Dans 50 ans, +5°C serait alors l’anomalie moyenne à Paris par rapport à la période 1920-2014. Une anomalie supérieure à celle de l’été 2003 (on parle bien des trois mois d’été et non de la période de canicule). Les étés les plus chauds pourraient flirter avec les +8°C.

Canberra : la ville australienne connaît une grande variabilité, comme Paris, mais les températures devraient moins s’élever.

Autre conclusion à relever : la réduction des émissions diminuerait la probabilité globale de voir les températures estivales excéder les valeurs record actuelles, mais les avantages ne seraient pas répartis uniformément. Dans certaines régions, y compris la côte Est des Etats-Unis et une grande partie des tropiques, la probabilité resterait quand même au-dessus de 90%, même avec le scénario RCP 4.5.

Mais cela serait une aubaine considérable pour d’autres régions du monde, d’après les scientifiques. Le Brésil, l’Europe centrale, et l’est la Chine verraient une réduction du risque de plus de 50%. Étant donné que ces zones sont densément habitées, une grande partie de la population mondiale bénéficierait considérablement des mesures d’atténuation.

Par Johan Lorck le 18 juin 2016.
Source : Global-Climat